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La place des émotions : du regard philosophique à l'accompagnement (Extrait)

Sémaphore 2 carré
20/06/2017
Une émotion, étymologiquement (é - motion), est d'abord un mouvement qui fait sortir quelqu'un de l'état dans lequel il était auparavant. Etre é-mu signifie donc d'abord un changement : je suis concentré, je réfléchis et tout à coup une joie m'envahit, par exemple.....

Sémaphore n°2, la revue d'articles rédigés par des intervenants systémiques portant sur leurs pratiques et éditée par Forsyfa

La place des émotions :

Du regard philosophique à l'accompagnement

Extrait de la revue Sémaphore de juin 2017

 

Les deux textes qui suivent sont ceux de la conférence organisée par IESCO-FORSYFA (22 novembre 2014 - Nantes) sur le thème « La place des émotions : du regard philosophique à l'accompagnement ». En effet, depuis quelques années, les émotions ont été réhabilitées. Fini le temps où elles étaient considérées comme une limite qui empêchait d'agir. Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Quelle est la place de l'émotion dans notre pensée occidentale ? Quelles sont les différences entre la notion d'émotion, de sentiment ou d'affect ? Et dans l'intervention sociale, l'émotion est-elle un indice de changement, une modalité ou un adjuvant au processus de l'intervention ? Y-a-t-il des risques à faire émerger des émotions ?
Dans un premier temps, Damien COUET, professeur certifié de philosophie présente la place des émotions dans notre société, au fil du temps. Dominique ROYAUX, thérapeute familial, expose dans un second temps la fonction qu'occupe l'expression des émotions et des sentiments dans le contexte d'un système familial en thérapie et ce, tant pour la famille que pour les intervenants.

 

Auteurs :

Damien COUET
Professeur agrégé de philosophie, enseignant en classes préparatoires aux grandes écoles au lycée Mongazon, à Angers
Dominique ROYAUX
Intervenante systémique, formatrice et superviseur à FORSYFA (NANTES), thérapeute familial en libéral, Gestalt-Thérapeute

 

La place des émotions dans la philosophie contemporaine

Une émotion, étymologiquement (é - motion), est d'abord un mouvement qui fait sortir quelqu'un de l'état dans lequel il était auparavant. Etre é-mu signifie donc d'abord un changement : je suis concentré, je réfléchis et tout à coup une joie m'envahit, par exemple. De manière trop caricaturale on entend dire parfois que la pensée occidentale oppose la raison aux émotions parce que celles-ci perturberaient celle-là. Ce mouvement qui définit l'émotion serait susceptible de perturber la raison. Ce n'est pas tout à fait vrai puisque la philosophie, de PLATON et ARISTOTE jusqu'à nos jours et en passant par Descartes notamment, considère au contraire que l'émotion est à l'origine de la pensée. L'étonnement chez les Grecs anciens, l'admiration chez Descartes suscitent en effet la réflexion. La surprise est toujours considérée comme une émotion primaire par la neurobiologie actuelle. On la reconnaît aussi chez les animaux, un chat ou un chien. Pourtant chez eux, cette émotion ne semble pas participer de la raison.

Qu'est-ce que l'émotion chez l'Homme pour pouvoir ainsi nous mener à la réflexion ? Pour le courant rationaliste en philosophie une émotion peut facilement nous échapper et il faut donc assez rapidement la ressaisir rationnellement. Il y a une tendance générale, tendance rationaliste, dans la pensée occidentale à considérer que ce mouvement doit être contrôlé car il se fait aux dépens de, voire s'oppose, à notre volonté. On trouve cette idée notamment chez DESCARTES dans son Traité des passions : il assimile les émotions à des perceptions car elles regroupent « tout ce qui n'est pas de la volonté du sujet » (art. 28) et ne sont pas des connaissances évidentes. De ce point de vue les termes d'émotion, de sentiment,
de passion et d'affect sont synonymes : ils désignent tous un mouvement qui touche notre esprit indépendamment de notre volonté. Le danger vient de là et c'est pourquoi la raison doit intervenir ensuite. L'opposition, si opposition il y a, est donc plus entre émotion et volonté.

[...]

Accompagner les émotions : un risque à prendre ou une chance à saisir

Introduction

En commençant, je me rends compte que je suis ému, je suis touché par la situation, le fait de prendre la parole devant vous accélère mon rythme cardiaque et si je prête un peu d'attention à ce qui se passe pour moi, je peux me rendre compte qu'une petite peur est présente en moi, quelque chose comme de l'appréhension ... Et puis, un certain plaisir à être ici ... Ah oui ! prendre la parole ... Ça y est, je peux faire le lien avec certaines règles de ma famille d'origine : pour prendre la parole, il fallait avoir quelque chose à dire, pas
n'importe quoi ... La question des émotions est quelque chose qui me passionne depuis de nombreuses années ; d'abord dans ma propre famille, bien sûr ! Alors, j'ai choisi de ratisser large en reliant ma pratique à plusieurs courants pour tenter de faire passer un regard multidimensionnel. Quand on évoque la question des émotions, dans beaucoup d'écoles de formation au travail social, une règle est souvent rappelée : "Pas d'affects avec les usagers, restez professionnels. Gardez la bonne distance !" Ainsi, il est présupposé que tout ce qui concerne le domaine des sentiments, des émotions est à mettre à l'écart voire à bannir, à garder pour soi. On considère, ou plutôt on considérait ... ça change un peu ... que cette dimension n'avait pas à entrer en ligne de compte dans la relation d'aide, qu'elle était source de mélange plus ou moins déviant et même pouvait mettre en lumière un problème personnel chez le professionnel ... Ainsi, si l'intervenant avouait être touché par la souffrance de telle ou telle personne, par les problèmes de telle ou telle autre : il pouvait parfois voir le jugement apparaître dans le regard des collègues et sentir que son propos était déplacé. J'ai d'ailleurs quelques souvenirs, pas si lointains, dans le contexte de l'analyse de pratique, où on pouvait me lancer des regards étonnés quand j'ouvrais sur la question : « et vous, comment êtes-vous touché par la situation que vous amenez
ici ? »
Comme si le fait d'être touché renvoyait à la question de la compétence. Comme si le fait de ressentir quelque chose était douteux. Ou encore, comme si de poser la question « que ressentez-vous ? », faisait figure de transgression à la règle précédemment citée. Souvent, la question reste sans réponse ou fait place à une explication rationnelle.

 

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