L'entretien systémique individuel (Extrait)
L'entretien systémique individuel
- Convoquer les absents -
Extrait de la revue Sémaphore de juin 2017
Cet article associe deux propositions qui peuvent paraître, à première vue, antinomiques : l'entretien individuel et l'approche systémique.
Dans notre pratique de formateurs, de superviseurs et de cliniciens, nous constatons que certains contextes ne permettent pas de recevoir en entretien plusieurs membres d'une même famille. Ceci conduit l'intervenant à recevoir la personne demandeuse ou l'usager seul. À partir de notre clinique d'intervenants systémiques, nous exposons en quoi notre modèle reste pertinent dans le cadre de thérapie ou d'entretien individuel. Il s'agit de co-construire avec le patient ou plus généralement l'usager, en partant de sa demande, un contexte où pourront émerger des changements relationnels dans son ou ses système(s) d'appartenance. C'est donc penser globalement et agir localement. L'intervenant doit construire son intervention à partir d'une double position :
- Établir une alliance thérapeutique avec la personne qui consulte en faisant preuve d'empathie et de considération à son égard.
- Se différencier de son point de vue sur les personnes et les relations qui font partie de son problème.
C'est cette différence dans la posture de l'intervenant qui permet à la personne en consultation d'expérimenter des changements relationnels dans ses systèmes d'appartenance. La posture éthique de l'intervenant est essentielle. Elle doit se construire dans la prise en considération de toutes les personnes concernées et de
leurs relations. Nous mettons donc en évidence les écueils à éviter pour l'intervenant dans l'entretien individuel et notamment les différents types de coalitions possibles qui sont à l'oeuvre entre la personne en entretien, les personnes absentes et l'intervenant. Enfin, en dernière partie, nous présenterons les outils utilisés dans la «convocation» physique ou virtuelle des absents.
Auteurs :
Thierry LEBLOND
Intervenant systémique, formateur et superviseur à FORSYFA (NANTES), thérapeute systémique à TSF Réso 35 et CHSP Guillaume Régnier à Rennes
Catherine GADBY-MASSART
Intervenante systémique, formatrice et superviseur à FORSYFA (NANTES), thérapeute systémique à TSF Réso 35 et CHSP Guillaume Régnier à Rennes
Ou comment ne pas donner raison à l'adage,
"Les absents ont toujours tort"
Introduction
La plupart des professionnels de la relation d'aide se représente l'approche systémique comme une intervention directe au sein des systèmes humains, nécessitant la présence de tous les membres de ce système. Cette représentation provient en grande partie de la littérature systémique et des centres de formation qui mettent l'accent sur les concepts d'interaction et de circularité de cette approche.
Par ailleurs, l'intervention systémique est encore parfois cantonnée à la thérapie familiale, et par extension, aux entretiens familiaux1. Il peut être alors difficile d'envisager une intervention systémique avec un seul individu. On peut aisément le comprendre puisque l'épistémologie systémique s'appuie sur l'étude des relations entre les individus et non pas sur les individus eux-mêmes. Il s'agit d'une théorie portant sur l'interpersonnel et l'intersubjectivité et non pas sur l'intrapsychique. Il est aussi permis de penser qu'à l'époque de la naissance de ce mouvement dans les années cinquante, il était important de le différencier des autres approches thérapeutiques axées essentiellement sur l'entretien duel. Cette distinction est encore bien présente aujourd'hui. Il y a d'un côté l'approche systémique, perçue comme pertinente pour intervenir auprès des systèmes (famille, couple, équipe, institution), et d'un autre côté, d'autres courants théoriques comme par exemple, la psychanalyse ou les TCC2 considérés comme plus à même d'intervenir auprès d'un individu. Le vécu du terrain est bien plus complexe. En effet, il nous est arrivé d'observer :
- D'une part, qu'une intervention qualifiée de « systémique » avec tous les membres d'une famille, ne l'était pas systématiquement. Elle pouvait consister davantage en une succession d'entretiens individuels devant témoins, sans réelle connexion entre ses membres.
- D'autre part, qu'une intervention auprès d'un seul individu pouvait être systémique car elle venait mobiliser plusieurs membres de la famille par rétroaction, pendant et après la séance, alors même qu'ils étaient absents.
Si, dans le champ systémique, la thérapie familiale a été largement médiatisée et répandue, il n'en reste pas moins vrai que d'autres courants de la systémie se sont écartés de ce seul modèle pour proposer d'autres manières de faire. Le courant interactionnel de Palo ALTO3, qui a donné naissance aux thérapies brèves, et le courant transgénérationnel des systèmes émotifs de Murray BOWEN4, ont proposé et développé chacun de leur côté, un modèle systémique à partir d'une personne, celle-ci étant alors considérée comme la porte d'entrée du système et le principal levier pour faire émerger le changement.
1 - Nous utiliserons le terme thérapeute ou intervenant. De même, nous alternerons les termes usager, patient, demandeur. Notre propos s'applique à tous les contextes d'intervention.
2 - TCC : Thérapies cognitivo-comportementales.
3 - L'école de Palo ALTO a été fondée, entre autres, par Grégory BATESON en 1950, aux Etats-Unis.
4 - Murray BOWEN (1913/1990) - Psychiatre américain - Thérapeute familial - Pionnier de l'approche transgénérationnelle.