Les thématiques abordées :
L’entretien systémique individuel
Convoquer les absents
Auteurs :
- Thierry Leblond
 - Catherine Gadby-Massart
 
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Ou comment ne pas donner raison à l’adage, « Les absents ont toujours tort »
Introduction
La plupart des professionnels de la relation d’aide se représente l’approche systémique comme une intervention directe au sein des systèmes humains, nécessitant la présence de tous les membres de ce système. Cette représentation provient en grande partie de la littérature systémique et des centres de formation qui mettent l’accent sur les concepts d’interaction et de circularité de cette approche.
Par ailleurs, l’intervention systémique est encore parfois cantonnée à la thérapie familiale, et par extension, aux entretiens familiaux1. Il peut être alors difficile d’envisager une intervention systémique avec un seul individu. On peut aisément le comprendre puisque l’épistémologie systémique s’appuie sur l’étude des relations entre les individus et non pas sur les individus eux-mêmes. Il s’agit d’une théorie portant sur l’interpersonnel et l’intersubjectivité et non pas sur l’intrapsychique. Il est aussi permis de penser qu’à l’époque de la naissance de ce mouvement dans les années cinquante, il était important de le différencier des autres approches thérapeutiques axées essentiellement sur l’entretien duel. Cette distinction est encore bien présente aujourd’hui. Il y a d’un côté l’approche systémique, perçue comme pertinente pour intervenir auprès des systèmes (famille, couple, équipe, institution), et d’un autre côté, d’autres courants théoriques comme par exemple, la psychanalyse ou les TCC2 considérés comme plus à même d’intervenir auprès d’un individu. Le vécu du terrain est bien plus complexe. En effet, il nous est arrivé d’observer :
D’une part, qu’une intervention qualifiée de « systémique » avec tous les membres d’une famille, ne l’était pas systématiquement. Elle pouvait consister davantage en une succession d’entretiens individuels devant témoins, sans réelle connexion entre ses membres.
D’autre part, qu’une intervention auprès d’un seul individu pouvait être systémique car elle venait mobiliser plusieurs membres de la famille par rétroaction, pendant et après la séance, alors même qu’ils étaient absents.
Si, dans le champ systémique, la thérapie familiale a été largement médiatisée et répandue, il n’en reste pas moins vrai que d’autres courants de la systémie se sont écartés de ce seul modèle pour proposer d’autres manières de faire. Le courant interactionnel de Palo ALTO3, qui a donné naissance aux thérapies brèves, et le courant transgénérationnel des systèmes émotifs de Murray BOWEN4, ont proposé et développé chacun de leur côté, un modèle systémique à partir d’une personne, celle-ci étant alors considérée comme la porte d’entrée du système et le principal levier pour faire émerger le changement.
1 – Nous utiliserons le terme thérapeute ou intervenant. De même, nous alternerons les termes usager, patient, demandeur. Notre propos s’applique à tous les contextes d’intervention.
 2 – TCC : Thérapies cognitivo-comportementales.
 3 – L’école de Palo ALTO a été fondée, entre autres, par Grégory BATESON en 1950, aux Etats-Unis.
 4 – Murray BOWEN (1913/1990) – Psychiatre américain – Thérapeute familial – Pionnier de l’approche transgénérationnelle.
À quoi joue-t-on ?
Co-dépendance, iso-morphisme et autres jeux relationnels dans le processus d’intervention
Auteurs :
- Fabrice Epaud
 
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L’individu co-dépendant est celui qui s’est laissé affecter par le comportement d’un autre individu et qui se fait une obsession de contrôler le comportement de cette personne.
Introduction
Notre vie relationnelle est constituée d’une série de jeux qui s’entremêlent et dans lesquels nous entrons sans toujours en avoir conscience. Notre participation à ces jeux peut nous aliéner et réduire nos comportements à des suites de réponses stéréotypées ; ou alors elle peut nous permettre de développer notre créativité. Bien entendu notre vie professionnelle, constituée elle aussi de relations, n’échappe pas à ces jeux. À travers l’histoire d’une série d’interventions auprès d’un couple, nous tenterons de montrer quelques-uns de ces jeux à l’œuvre. Nous nous intéresserons plus spécifiquement à la co-dépendance. Nous verrons comment celle-ci se met en place comme un jeu collaboratif impliquant les différents membres du système et comment ce jeu peut passer du système patient identifié au système d’intervention. Nous explorerons les potentialités de changement contenues dans une telle modification. Bien sûr cela n’est qu’une histoire, ce n’est qu’un jeu… Mais allez savoir !
Ainsi qu’aurait pu le dire la maman de Forrest GUMP1 : « la vie est un jeu ». Plus exactement, notre vie relationnelle est constituée d’une succession de jeux au travers desquels nous évoluons. Nous y contribuons, autant que nous les subissons.
Certains de ces jeux ont pour effet de réduire notre vie relationnelle à des réponses stéréotypées le plus souvent mal adaptées à la situation. En nous enfermant dans des schémas de plus en plus rigides, notre participation à ce type de jeux a tendance à nous rabougrir en atrophiant notre créativité. D’autres jeux relationnels, au contraire, ont pour effet de stimuler notre créativité, notre capacité à être souples et à construire des réponses adaptées aux situations auxquelles nous sommes confrontés. Ce sont les jeux du premier type qui amènent les familles en thérapie. Ce sont des jeux du second type que nous souhaitons voir émerger du système thérapeutique. Ce travail est parti de l’intérêt que Fabienne POIRIER2 et moi-même portons pour les phénomènes de co-dépendance que nous observons couramment dans la file active du Centre de Soin, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie.
La co-dépendance est un jeu relationnel. Nous nous sommes plus particulièrement intéressés à la manière dont, parfois, ce jeu peut passer du système familial au système d’intervention et, de ce fait, prendre sa place dans le processus thérapeutique.
Mélody BEATTY est une américaine, ex-malade alcoolique et militante d’associations d’anciens buveurs, elle a beaucoup écrit sur ce thème de la co-dépendance dont elle propose la définition suivante :
« L’individu co-dépendant est celui qui s’est laissé affecter par le comportement d’un autre individu et qui se fait une obsession de contrôler le comportement de cette personne. » Cette définition est intéressante et correspond bien aux comportements observés dans de nombreuses situations. Mais elle reste centrée sur un individu et ne tient pas compte des phénomènes de co-construction. Elle manque de circularité ; elle n’est pas systémique.
Je proposerai donc la définition suivante : La co-dépendance est une qualité émergente d’une relation dans laquelle un des partenaires, (A), développe une dépendance à un objet extérieur (un produit ou un comportement par exemple) et l’autre, (B), développe une dépendance à la dépendance de A. La co-dépendance est un jeu relationnel dans lequel la relation des deux partenaires est régulée par le lien de dépendance plus ou moins fort développé par A (que le jeu désigne comme le malade ou l’incompétent) vis-à-vis de l’objet extérieur et de B (que le jeu désigne comme le soignant ou le compétent) vis-à-vis de la dépendance de A.
1 – Personnage du film éponyme de 1994 qui cite sans arrêt des aphorismes pour le moins sibyllins attribué à sa
  « maman ».
  2 – Thérapeute familiale au C.S.A.P.A. La Métairie à La Roche-sur-Yon.
Le contexte des situations d’abus
Auteurs :
- Béatrice Boussard
 - Damien Légère
 
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Introduction
Nous sommes habitués à ne considérer que les abus manifestes. C’est pourtant l’arbre qui cache la forêt. En effet il existe d’autres situations d’abus tout aussi nombreuses et destructives : les abus subtils. Peut-être que les situations d’abus manifestes empêchent de penser la notion même d’abus ? Pourtant abus manifestes ou abus subtils, les processus sont identiques. Les auteurs de cet article se sont attachés à en décrire les paramètres et leurs interactions. Ils ne se sont pas uniquement appuyés sur leurs pratiques professionnelles auprès de systèmes aux prises avec les abus. Cette réflexion est aussi le fruit de moments de partage intenses vécus au sein de l’équipe de FORSYFA lors de journées pédagogiques. Nous remercions chacun de sa contribution.
Il serait de bon ton de commencer en définissant ce qu’est une situation d’abus. Mais force est de constater qu’une appréhension intellectuelle ne permet pas d’identifier cette situation lorsqu’on la vit et encore moins de s’en sortir. Si pour se sortir d’un jeu relationnel il faut d’abord éviter d’y rentrer, la spécificité de la situation d’abus est que l’on y est, sans bien sûr vouloir y être et pire, sans pouvoir identifier que l’on est pris dans son piège. Bien sûr nous parlons des situations d’abus subtils, celles qui ne sont pas appréhendables de façon objectivable par un ou des faits manifestes, celles qui ne peuvent alimenter les instances juridiques faute de preuve. Nous parlons donc de celles qui s’insinuent et qui ne deviennent identifiables qu’après un long processus de co-construction et comme une révélation. Nous utilisons volontairement le terme révélation car la situation d’abus apparaît soudainement comme une évidence. L’évidence s’impose à l’esprit comme une réalité, sans qu’il soit besoin d’aucune justification. Lorsqu’on y est, le seul indicateur accessible est le ressenti émotionnel non pas dans une traduction analogique identifiable mais dans une expression première, c’est-à-dire corporelle. La gorge se serre, la nausée survient, le corps transpire, les mains deviennent moites, des abeilles tueuses s’agitent dans le ventre. Ça ne prévient pas, c’est presque rien mais c’est là. Ce n’est même pas une douleur sournoise ; c’est une gêne qui ne dit pas son nom. Il n’y a pas de mot sur quelque chose d’insaisissable ; c’est une émotion qui ne peut devenir un sentiment. On ne s’en défend pas, on ne dit pas non et on ne comprend pas pourquoi on ne dit pas non. Des pseudo-raisonnements expliquent, justifient. Le refus essentiel est de l’ordre du ressenti corporel et on reste seul avec.
Avant de parler à propos des situations d’abus, nous vous proposons d’être en contact avec votre ressenti en lisant trois histoires banales, celle d’un couple, celle d’une famille et celle d’une institution. Chaque acteur témoigne de son point de vue « entendable » et légitime et pourtant…
Groupe de parole : les ressources du système
Auteurs :
- Damien Légère
 
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Introduction
Depuis quelques années, les acteurs sociaux sont sollicités pour mettre en place des projets d’actions collectives : groupe de parole, de soutien, d’expression, d’information… Qu’est-ce qui différencie tous ces projets ?  Comment un groupe de parole est un outil spécifique et précieux, vecteur de changements forts ? Comment identifier et tenir compte des enjeux contextuels pour donner toutes ses chances à la réalisation de ces projets ? Comment cela peut-il être une opportunité de créativité pour les intervenants sociaux ? Comment cette proposition peut-elle rencontrer l’adhésion de futurs participants ?  Comment favoriser et accompagner le processus de groupe pour en faire un outil d’intervention puissant ?
A travers le témoignage d’un participant, mais également la mise en œuvre d’un Projet, Damien LEGERE proposera des éléments de réponses à ces différentes interrogations.  
Ce travail est le fruit de nombreuses rencontres et de nombreux partages qui ont émergé de groupes. Aussi je tiens à remercier très sincèrement les professionnels qui m’ont amené à préciser ma vision systémique lors de la formation « Animer un Groupe de Parole ».
 
Je tiens également à exprimer toute ma gratitude à Madame Annick DEBERSE-CHEMIN. Cet article est la reconnaissance de notre transmission.
   
 
 
“ Monsieur Damien, animateur du Groupe
  Monsieur Frédéric G., psychologue
  À tous les gars du Groupe de Parole des Pères
On vient de me dire que je sors de la maison d’arrêt en début d’après-midi. J’ai rassemblé mes affaires. Je suis prêt.
  Une histoire s’arrête, une histoire commence. Je ne sais pas comment je  vais vivre avec le souvenir de mon arrestation, avec le souvenir de la  maison d’arrêt. Même si nous en avons parlé, je ne sais toujours pas ce  que j’en dirai à mon fils. En commençant le groupe, chacun s’est engagé à  ne pas partir sans dire au-revoir. On s’était engagé les uns, les  autres. Je vous écris. J’ai beaucoup aimé la force de notre équipe. Je  me suis senti bien, jamais jugé. De ce temps d’incarcération, je me  souviendrai surtout de nos rencontres. Je remercie mon infirmière de  m’avoir proposé d’y venir. Comme vous vous en souvenez sans doute, ça  n’a pas toujours été simple.
  Parler de ma place de père m’a forcé à parler de ma place de fils et de  revenir à mon père. J’avais juré de ne plus jamais en parler. J’ai été  en colère contre vous, de m’amener à regarder comment mon père m’a fait  souffrir. Vous avez accepté mes coups de gueule, sans m’en vouloir. Ça été important pour moi. Avec l’aide du groupe,  j’ai ouvert les yeux sur ce qui restait de cette histoire quand je suis  avec mon fils. J’ai compris ce qui se passait quand je ne le supportais pas… je garde en mémoire quand David m’a dit « en toi, y a peut-être  un petit qui est jaloux, qui est triste ». Sans doute, je suis jaloux  quand je vois mon fils consolé par sa mère. Je ne verrai plus les choses  de la même façon. Ce n’était pas facile quand je retournais dans ma  cellule. Je ne pouvais plus parler, je n’avais envie que de dormir, que  ça s’arrête. Ça me faisait mal mais je savais que c’était nécessaire.
Je me rappelle aussi quand on a parlé de la place des mères. J’ai pas  eu de mère, je croyais que j’avais rien à dire. J’ai été marqué quand  Steven a craqué. Je ne pensais pas qu’un gars pouvait pleurer sans que  ça soit faible. Ce jour-là, j’ai parlé, non pas parce que j’avais rien à  dire mais parce que ça me faisait mal. J’ai compris qu’on n’est pas  père tout seul mais en fonction d’une mère. Peut-être que mon père m’a  fait payer la mort de ma mère. Je me dis qu’il y a un lien entre les  produits qui m’ont amené en prison et mon histoire. J’ai été con, à moi  de changer l’histoire pour mon fils. Mon avocat m’a dit que j’avais  changé, mon psy m’a dit que j’avais changé. À ma sortie, je compte me  faire aider… j’aimerais bien continuer. J’ai été capable de rester  dans le groupe, j’en suis fier. Aujourd’hui je me sens capable… j’ai  commencé avec vous, je vais continuer pour mon fils.
  Bon courage les gars. Merci à chacun, je penserai à vous, jeudi prochain.
  Benoît »
Comment la participation à un groupe a-t-elle pu agir si profondément sur Benoît ? Quelles sont les ressources de ce système groupe pour que Benoît se mette si profondément en mouvement ? D’où vient la force de changement de ce Système Groupe ?
La place des émotions
Du regard philosophique à l’accompagnement
Auteurs :
- Damien COUET
 - Dominique ROYAUX
 
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Les deux textes qui suivent sont ceux de la conférence organisée par  IESCO-FORSYFA (22 novembre 2014 – Nantes) sur le thème « La place des  émotions : du regard philosophique à l’accompagnement ». En effet,  depuis quelques années, les émotions ont été réhabilitées. Fini le temps  où elles étaient considérées comme une limite qui empêchait d’agir.  Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Quelle est la place de l’émotion dans  notre pensée occidentale ? Quelles sont les différences entre la notion  d’émotion, de sentiment ou d’affect ? Et dans l’intervention sociale,  l’émotion est-elle un indice de changement, une modalité ou un adjuvant  au processus de l’intervention ? Y-a-t-il des risques à faire émerger  des émotions ?
Dans un premier temps, Damien COUET, professeur certifié de philosophie  présente la place des émotions dans notre société, au fil du temps.  Dominique ROYAUX, thérapeute familial, expose dans un second temps la  fonction qu’occupe l’expression des émotions et des sentiments dans le  contexte d’un système familial en thérapie et ce, tant pour la famille  que pour les intervenants.
La place des émotions dans la philosophie contemporaine
Une émotion, étymologiquement (é – motion), est d’abord un mouvement qui fait sortir quelqu’un de l’état dans lequel il était auparavant. Etre é-mu signifie donc d’abord un changement : je suis concentré, je réfléchis et tout à coup une joie m’envahit, par exemple. De manière trop caricaturale on entend dire parfois que la pensée occidentale oppose la raison aux émotions parce que celles-ci perturberaient celle-là. Ce mouvement qui définit l’émotion serait susceptible de perturber la raison. Ce n’est pas tout à fait vrai puisque la philosophie, de PLATON et ARISTOTE jusqu’à nos jours et en passant par Descartes notamment, considère au contraire que l’émotion est à l’origine de la pensée. L’étonnement chez les Grecs anciens, l’admiration chez Descartes suscitent en effet la réflexion. La surprise est toujours considérée comme une émotion primaire par la neurobiologie actuelle. On la reconnaît aussi chez les animaux, un chat ou un chien. Pourtant chez eux, cette émotion ne semble pas participer de la raison.
Qu’est-ce que l’émotion chez l’Homme pour pouvoir ainsi nous mener à la réflexion ? Pour le courant rationaliste en philosophie une émotion peut facilement nous échapper et il faut donc assez rapidement la ressaisir rationnellement. Il y a une tendance générale, tendance rationaliste, dans la pensée occidentale à considérer que ce mouvement doit être contrôlé car il se fait aux dépens de, voire s’oppose, à notre volonté. On trouve cette idée notamment chez DESCARTES dans son Traité des passions : il assimile les émotions à des perceptions car elles regroupent « tout ce qui n’est pas de la volonté du sujet » (art. 28) et ne sont pas des connaissances évidentes. De ce point de vue les termes d’émotion, de sentiment,
  de passion et d’affect sont synonymes : ils désignent tous un mouvement qui touche notre esprit indépendamment de notre volonté. Le danger vient de là et c’est pourquoi la raison doit intervenir ensuite. L’opposition, si opposition il y a, est donc plus entre émotion et volonté.[…]
Accompagner les émotions : un risque à prendre ou une chance à saisir
En commençant, je me rends compte que je suis ému, je suis touché par la situation, le fait de prendre la parole devant vous accélère mon rythme cardiaque et si je prête un peu d’attention à ce qui se passe pour moi, je peux me rendre compte qu’une petite peur est présente en moi, quelque chose comme de l’appréhension … Et puis, un certain plaisir à être ici … Ah oui ! prendre la parole … Ça y est, je peux faire le lien avec certaines règles de ma famille d’origine : pour prendre la parole, il fallait avoir quelque chose à dire, pas n’importe quoi … La question des émotions est quelque chose qui me passionne depuis de nombreuses années ; d’abord dans ma propre famille, bien sûr ! Alors, j’ai choisi de ratisser large en reliant ma pratique à plusieurs courants pour tenter de faire passer un regard multidimensionnel. Quand on évoque la question des émotions, dans beaucoup d’écoles de formation au travail social, une règle est souvent rappelée : « Pas d’affects avec les usagers, restez professionnels. Gardez la bonne distance ! » Ainsi, il est présupposé que tout ce qui concerne le domaine des sentiments, des émotions est à mettre à l’écart voire à bannir, à garder pour soi. On considère, ou plutôt on considérait … ça change un peu … que cette dimension n’avait pas à entrer en ligne de compte dans la relation d’aide, qu’elle était source de mélange plus ou moins déviant et même pouvait mettre en lumière un problème personnel chez le professionnel … Ainsi, si l’intervenant avouait être touché par la souffrance de telle ou telle personne, par les problèmes de telle ou telle autre : il pouvait parfois voir le jugement apparaître dans le regard des collègues et sentir que son propos était déplacé. J’ai d’ailleurs quelques souvenirs, pas si lointains, dans le contexte de l’analyse de pratique, où on pouvait me lancer des regards étonnés quand j’ouvrais sur la question : « et vous, comment êtes-vous touché par la situation que vous amenez ici ? »
  Comme si le fait d’être touché renvoyait à la question de la compétence. Comme si le fait de ressentir quelque chose était douteux. Ou encore, comme si de poser la question « que ressentez-vous ? », faisait figure de transgression à la règle précédemment citée. Souvent, la question reste sans réponse ou fait place à une explication rationnelle.