Les thématiques abordées :
SOUFFRANCES AU TRAVAIL
Approche systémique des risques psychosociaux
Auteurs :
- Béatrice Boussard
Extrait libre d’accès
Les risques de mal-être au travail désignés depuis la fin des années 90 par « risques psychosociaux », occupent une place grandissante dans les enjeux institutionnels.
 Leur abord peut se limiter à la recherche des sources de danger pour la santé et à la prévention. Cependant l’expérience montre qu’ils ne résultent pas de facteurs uniquement liés aux conditions de travail mais de la mise en relation de paramètres caractérisant les enjeux à l’intérieur de l’organisation de l’institution dans sa globalité. Cet article propose une lecture globale et complexe des contextes relationnels au sein desquels le mal-être au travail occupe une fonction particulière.
UN DÉTOUR PEUT-ÊTRE SURPRENANT…
Quand je pense à la fonction du travail dans mon histoire m’apparaissent deux figures : celle de mon père et celle de mon grand-père maternel. Ils se vouaient un mépris réciproque paradoxalement fait d’un grand respect. Je ne m’attarderai pas sur le mépris mais sur le respect car la place du travail y contribuait. En effet, ils partageaient un certain nombre de points communs que j’ai laissé s’inscrire avec le temps dans mon héritage.
Tous deux exerçaient un métier en lien avec la culture de la terre. Mon grand-père était agriculteur et mon père « négociant en produits du sol et dérivés ». Qui dit culture de la terre dit adaptation aux saisons, aux phénomènes imprévisibles comme les intempéries. Le temps n’existe pas car il y a à prendre en considération le temps ! Donc pas de début ni de fin de journée pré-programmés ; pas de weekend de repos. C’est la météo et ses conséquences sur la culture qui programment l’activité. Ainsi mon père prenait son camion-citerne à 6 heures un dimanche matin pour livrer du fuel à un agriculteur qui avait décidé de moissonner son champ de céréales car le climat le permettait. Ensuite, le magasin restait ouvert toute la journée pour accueillir le même agriculteur qui apportait ses céréales pour que mon père puisse les vendre. L’activité du commerce nécessitait une certaine flexibilité pour s’adapter aux besoins du client. Et c’est cette flexibilité que mon père valorisait pour expliquer le développement et la réussite de son activité.
Dans notre famille, il est conseillé de travailler quand le travail se présente pour anticiper sur les périodes où le travail n’est pas au rendez-vous. Le travail n’est donc pas une activité stable et régulière dans mon système d’appartenance. Avant de poursuivre, vous pouvez observer que l’évocation du travail dans mon histoire m’amène à penser à deux hommes. En effet, dans l’environnement social et familial où j’ai grandi le travail des femmes à la maison était vraiment invisible aux yeux des hommes et des femmes, qui elles-mêmes le déconsidéraient. Avoir un travail dans notre famille, c’est exercer une activité rémunérée. Ma mère nous demandait indirectement à ma soeur et moi-même d’exercer un travail pour être indépendante financièrement. Le travail permettait de se dégager de la dépendance.
Pour mon père et mon grand-père, l’argent permettait aussi d’être libres c’est-à-dire de faire ses propres choix et de les assumer. Devenir riche n’a jamais été évoqué comme un but en soi. La question de l’argent doit se faire oublier pour faire des choix. Faire un choix en fonction de l’argent à gagner ou à perdre n’est pas un choix dans ma famille. Par exemple, il était important de devenir propriétaire et de ne dépendre de personne pour se nourrir, se loger. Mon grand-père a très rapidement acheté une ferme ; mon père un corps de ferme pour installer son activité de stockeur de pommes puis de céréales. Nous avons vécu, comme la famille de ma mère, pendant quelques années sur la terre battue, sans salle de bains. Ma mère a eu une machine à laver quand j’avais 3 ans… Le peu d’argent amassé était investi pour se dégager d’une quelconque dépendance (logement, matériel) quel que soit le prix à payer pour la famille. Ces deux hommes n’ont quasiment jamais vécu la dépendance à un employeur.
Nouvelles considérations sur l’approche structurale
Auteurs :
- Damien Légère
Extrait libre d’accès
Cette réflexion est issue d’un travail collectif de l’équipe pédagogique de FORSYFA.
À partir de notre pratique clinique, nous avons été amenés à repréciser et à reconsidérer certains concepts ainsi que clarifier la construction de la Carte structurale. À travers la retranscription d’un premier entretien familial, cet article se propose de poser les bases d’une lecture structurale et d’offrir une méthode claire pour accéder à la complexité de la structure de ce système.
Lorsque nous entrons dans la salle, la famille fait rapidement silence. On devine que notre venue met fin à une conversation animée entre le jeune et ses parents. Le plus jeune garçon est assis sur le tapis et joue sur la table basse avec deux playmobils. Les intervenants serrent la main de chacun en se prénommant.
La maman : Pardon de vous demander déjà ça… mon fils est inquiet ; il a un rendez-vous à son club de tennis à 18h et il craint de ne pouvoir arriver à l’heure.
Béatrice regarde sa montre :
Béatrice : Il est 16h15 et nous avons besoin de 1h15. Ton club est très éloigné ?
Lino : Il faut compter 20 minutes en tram.
Le papa : Le rendez-vous est plus important… Tant pis pour ton tennis. Nous faisons tous des efforts pour être là… Ton frère loupe l’école et nous avons dû prendre une après-midi… Alors ton tennis !!!
À ce moment, le ton monte fortement entre le père et le fils. Le fils argumente l’importance de son sport. 
Lino : Je me suis engagé à organiser le tournoi du club dans un mois… Vous m’avez toujours dit qu’il fallait être à la hauteur de ses engagements. Il y a réunion et je dois y être…
La maman : Est-ce possible de raccourcir la séance ?
Damien s’approche de l’autre enfant avec une caisse de jeux et la pose près de la table basse au centre de la pièce.
Damien : Tiens, peut-être trouveras-tu quelque chose qui peut t‘intéresser !
Après avoir dit merci, le garçon se lance dans l’exploration de la caisse.
Lino : C’est bon, je rate mon tennis puisque tu y tiens à ton rendez-vous… Mais vous pouvez toujours courir, moi, je dirais rien !!!
Béatrice indique que le dernier quart d’heure sert souvent pour prendre rendez-vous. 
Nous ne savons pas encore si nous serons amenés à nous revoir. Si c’est le cas – et si c’est correct pour toi et tes parents –, tu pourras t’éclipser pour prendre le tram.
L’adolescent regarde le sol sans rien dire.
Les personnes s’installent.
« L’Enfant Intérieur » au cœur des relations familiales
Auteurs :
- Catherine Gadby-Massart
- Thierry Leblond
Extrait libre d’accès
L’utilisation en thérapie de la métaphore de « l’Enfant Intérieur » n’est pas une pratique nouvelle et a souvent été décrite par différents cliniciens. La plupart des écrits qui témoignent de cette pratique la situe principalement dans le cadre de thérapies individuelles. « L’Enfant Intérieur » est une métaphore pour parler de tout ce qui relie l’adulte à son enfance en matière d’apprentissages émotionnels et relationnels. Notre article porte plus spécifiquement sur l’utilisation de cet outil dans un cadre plus large incluant également les couples et les familles. À partir d’une lecture systémique, nous essayons de montrer en quoi « l’Enfant Intérieur » n’est pas en relation uniquement avec l’adulte qu’il est devenu mais également de façon indirecte comment il est en relation avec les autres membres de la famille et « l’Enfant Intérieur » porté par chacun d’entre eux.
 À partir de vignettes cliniques, nous présenterons comment nous utilisons cet « Enfant Intérieur » de manière systémique et métaphorique, comme un outil thérapeutique et un levier de changement mais aussi comme un précieux collaborateur. Si l’« Enfant Intérieur » peut être au cœur des relations familiales, alors il peut être aussi au cœur de l’intervention.
1 – DE QUOI PARLE-T-ON ?
Qui n’a jamais vécu une situation qui le ramène à son enfance, voire même à sa petite enfance ? Notre mémoire sensorielle et émotionnelle accumulée depuis notre enfance est souvent réactivée dans notre présent. Nous en sommes parfois conscients lorsque par exemple l’odeur d’un gâteau ou la saveur d’un riz au lait nous font revivre des scènes de notre enfance. Des sensations agréables associées à des émotions de plaisir nous envahissent et nous voilà replongés dans le passé. Des souvenirs bien précis apparaissent et remontent à notre conscience. Nous relions alors le présent vécu dans « l’ici et maintenant » à notre vécu d’enfant. Celui-ci se réveille donc de temps en temps au contact d’une sensation, d’un vécu, d’une rencontre. Il est donc là présent en chacun d’entre nous. Il nous aide ou il nous empêche. Son réveil nous rend heureux quand il nous donne de véritables atouts pour développer notre capacité à jouer ou à être inventif. Son réveil nous rend aussi malheureux, quand il nous inhibe, quand la honte ressurgit, amplifiée au travers d’un événement de notre vie d’adulte ou quand une colère démesurée et incontrôlable explose. Ainsi, il sait se rappeler à nous de temps en temps. Dans notre clinique de thérapeutes systémiques, nous allons souvent chercher au fil des séances ces vécus d’enfants que nous rattachons aux situations présentes. En thérapie familiale, de couple, ou individuelle, nous utilisons les « Enfants Intérieurs » de nos patients pour en faire des leviers thérapeutiques. La notion d’ « Enfant Intérieur » n’est pas nouvelle et est utilisée dans différentes approches comme par exemple en hypnose Ericksonienne, en PNL, ou en analyse transactionnelle.
Pour ce qui est de notre pratique de systémiciens, après avoir défini ce que nous entendons par « Enfant Intérieur », nous nous attacherons à décrire à partir de différentes situations cliniques comment nous utilisons cet outil analogique spécifique.
En effet, nos interventions ne sont pas centrées sur les dimensions intrapsychiques, ni même uniquement sur la personne, mais bien en référence avec notre modèle systémique, c’est-à-dire en connectant « l’Enfant Intérieur » aux relations qu’il entretient aujourd’hui dans ses différents systèmes d’appartenance.
Nous utilisons souvent « l’Enfant Intérieur » d’une ou plusieurs personnes présentes en séance. Nous explorons ensemble son influence sur l’ensemble des relations familiales ou de couple. Nous vous proposons donc de faire avec nous ce voyage si particulier avec nos enfants intérieurs : ceux des usagers et ceux des intervenants. Nous vous invitons à partager notre pratique systémique avec ces précieux «collaborateurs».
Mettre les relations familiales au travail par le budget analogique
Auteurs :
- Jean-Luc Bay
Extrait libre d’accès
De nombreux professionnels de l’action sociale sont amenés à accompagner des usagers, des couples et des familles dans leur gestion économique et budgétaire.
 Leurs outils habituels limitent cependant leur champ d’intervention, bien souvent à la seule dimension économique. C’est pour répondre à leurs besoins et inspiré par les possibilités d’ouverture nouvelles qu’offre le modèle systémique que nous leur proposons un outil nouveau : le budget analogique. Cet outil a pour but de permettre aux intervenants de revisiter le projet de la personne sous l’angle de ses propres choix, d’en clarifier les objectifs, de mobiliser les ressources et les compétences qui lui permettront de les atteindre. L’intervention comprend ainsi quatre étapes d’accompagnement progressif guidé par une éthique de la responsabilité.
Les gens ne veulent pas de travail, de l’argent leur suffirait
Coluche (Philosophe éclairé)
1 – BUDGET
L’évocation même du mot « budget » fait émerger immédiatement des listes de chiffres, des tableaux et autres diagrammes censés représenter une réalité financière plus ou moins équilibrée et qui reflète bien souvent une préoccupation quant à la gestion des ressources, sans parler de ce fameux « reste à vivre » qui en fait frémir plus d’un. Un sujet pour le moins anxiogène par ces temps de crise qui pourtant a le mérite de recouvrir des dimensions insoupçonnées pour peu que l’on questionne, moins son aspect économique (équilibres financiers), que sa dimension écologique (équilibres relationnels).
Au cours de mes réflexions concernant l’argent comme métaphore de la relation et dans l’héritage de pensées que m’a transmis Paul Segalen, le concept de budget analogique restait pour moi à préciser et enrichir. De là, et partant de ma sensibilité aux approches orientées compétences dans lesquelles le travail de l’objectif tient une place de choix, je me suis ainsi interrogé sur un outil très concret utilisable par les travailleurs sociaux qui accompagnent ces questions budgétaires et les arbitrages qu’elles impliquent. Dans sa version métaphorique, la classe des coûts et bénéfices que l’on trouve traditionnellement dans tout budget gagne à s’élargir au contexte relationnel. Cette approche vise à redynamiser le travail traditionnel du budget en l’augmentant d’une dimension systémique.
L’objectif de cet outil est double :
- permettre au travailleur social d’approcher les grandes lignes de ce que l’on appelle l’homéostasie familiale.
- permettre à la famille de réajuster ses choix de vie sur la base des éléments de son budget.
C’est lors d’une formation sur Brest auprès d’un groupe de travailleurs sociaux, mandataires judiciaires et CESF pour la plupart qu’a émergé cet outil. À l’évocation d’une possibilité de travailler le budget de manière plus analogique qui prendrait davantage en compte la dimension des choix, l’une des participantes m’avoua sa frustration de ne pas avoir d’outils plus précis et abouti. Nous nous sommes dès lors attelés à combler cette lacune avec un outil opératoire pour accompagner une ou plusieurs personnes sur la base d’éléments très concrets de leur budget quotidien. Nous nous sommes vite rendu compte qu’il dépassait largement le cadre du budget lui-même et permettait d’approcher tout changement, ou projet de changement, dans le cadre de vie d’une personne ou d’une famille.
S’il vous plaît, dessine-moi un paradoxe
Antoine de Saint-Moi
Auteurs :
- Fabrice Epaud
Extrait libre d’accès
La confrontation à de la communication paradoxale, des injonctions paradoxales ou encore des doubles contraintes peut s’avérer difficile pour les intervenants. Elle peut générer le sentiment de tourner en rond et peut aboutir, pour le professionnel à la perte du sentiment de compétence ou au rejet de la famille ou de l’usager et de ses demandes paradoxales. Dans ce contexte, il semble important de se pencher sur la perception qu’a l’intervenant de la situation porteuse de paradoxes. 
Les neurosciences ont montré que nous percevions la réalité qui nous entoure selon deux processus différents. Nous avons d’un côté une approche analytique basée sur le digital et de l’autre une approche basée sur les analogies : « ceci ressemble à cela ». Une approche analytique de la réalité nous permet de comprendre les paradoxes, de les reconnaître comme tels et d’en saisir le fonctionnement. Mais une telle compréhension ne nous donne aucune indication pour les dépasser. Il est même possible que la perception d’une situation comme paradoxale favorise le désengagement du professionnel : plus nous sommes en capacité à percevoir les paradoxes, plus nous risquons de nous en échapper, laissant les familles se débrouiller avec leurs demandes impossibles à satisfaire. Une approche par analogie présente un cadre différent. Elle ne permet pas de repérer les paradoxes ou d’en saisir le fonctionnement, mais elle permet des recadrages susceptibles de les dépasser.
Dans cet article, l’auteur tente d’appréhender les paradoxes selon ces deux approches : une approche pour comprendre, une approche pour aider à recadrer les paradoxes dans une stratégie d’intervention.
Pour ceux qui ne connaîtraient pas l’histoire du petit prince, voici ce qui se passe au début : Suite à une panne, un aviateur a dû se poser dans le désert. Il doit démonter son moteur et le réparer avant d’épuiser ses réserves d’eau et mourir de soif. C’est alors qu’il voit arriver, de nulle part, un enfant, plus exactement un petit prince, qui lui demande : « S’il vous plaît… dessine-moi un mouton… ». Pressé de reprendre ses réparations l’aviateur s’exécute mais aucun des moutons qu’il dessine ne convient au petit prince : « trop vieux », « trop malade »… Exaspéré et toujours pressé de reprendre son travail l’aviateur dessine une caisse et dit : « Ça c’est la caisse, le mouton que tu veux est dedans. » Et là, le petit prince sourit, il est satisfait et dit « c’est tout à fait comme ça que je le voulais ».
Il arrive souvent aux intervenants d’être face aux familles, comme l’aviateur face au petit prince. Une demande est faite, l’intervenant y répond mais cela ne convient jamais. De là peut naître une certaine usure, un sentiment d’incompétence, un certain agacement pouvant aller jusqu’au rejet de l’autre, devenu bien encombrant avec ses demandes jamais satisfaites. À première vue, la demande du petit prince n’est pas paradoxale. Au plus, elle peut être perçue comme déroutante, étant donné le contexte et l’utilisation dans la même phrase du vouvoiement et du tutoiement. Les interactions suivantes vont nous montrer que le petit prince ne veut pas le dessin de n’importe quel mouton, non il veut un mouton précis qui, sans doute, n’existe que dans sa tête. Du coup, le mouton désiré n’existant que dans la tête du petit prince, l’aviateur se retrouve face à une injonction paradoxale que l’on pourrait formuler ainsi : « S’il vous plaît, dessine-moi le mouton précis qui n’existe que dans ma tête à laquelle tu n’as pas accès ». À moins d’un coup de chance extraordinaire, l’aviateur pourrait bien dessiner des centaines de moutons sans pour autant dessiner celui qui convient au petit prince. 
Mais par chance, l’aviateur maîtrise totalement la théorie des niveaux d’apprentissages de Gregory Bateson et il propose un magnifique recadrage c’est-à-dire un changement de niveau permettant de sortir du paradoxe. Dans le problème posé par le petit prince, le dessin doit venir de l’aviateur, mais l’image du mouton ne peut venir que du petit prince qui en a une conception précise dans la tête. Le dessin accompagné par ce commentaire : « Ça c’est la caisse, le mouton que tu veux est dedans. » répond parfaitement à ce double impératif. Le dessin de la caisse est fait par l’aviateur et le mouton imaginé par le petit prince trouve sa place dans le dessin.
 
	