Les thématiques abordées :
Une expérience de co-thérapie
La supervision en immersion pour sortir de l’impasse thérapeutique
Auteurs :
- Thierry Leblond
- Catherine Gadby-Massart
Extrait libre d’accès
Cet article présente une expérience de supervision dans un cadre de co-thérapie. Il s’agit d’une supervision particulière, improvisée par les auteurs au cours d’une séance de thérapie, dans une situation vécue comme impasse thérapeutique. Cette intervention spontanée dans sa démarche peut être aujourd’hui regardée et appréhendée comme un outil d’intervention spécifique, utile au processus thérapeutique, lors de blocage ou d’impasse. Nous avons choisi d’appeler cet outil : « la supervision en immersion ». En premier lieu, nous aborderons les pourtours contextuels qui ont délimité notre expérience et en ont permis l’émergence, à savoir : la supervision systémique, la co-thérapie et l’impasse thérapeutique. Dans un deuxième temps, nous vous présenterons la situation clinique et notre expérience de supervision en immersion. Nous explorerons dans un troisième temps les processus relationnels émergeant de l’utilisation de cet outil, en observant comment il modifie les jeux relationnels et accroît l’intensité émotionnelle. Pour conclure, nous élargirons notre réflexion sur les limites, les risques mais aussi les possibilités de création qu’il représente.
Quand l’impasse devient une opportunité, elle ouvre sur d’autres possibles !
Au commencement…
Un thérapeute en salle pris dans l’impasse
Avant de recevoir en séance un couple en thérapie depuis plusieurs mois, je ressens un profond sentiment d’impuissance, avec l’impression de tourner en rond. Ma co-thérapeute, Catherine, supervise la séance derrière la glace sans tain. Très vite, je lui demande spontanément de rentrer en salle et de venir me superviser devant le couple. C’est une première, je reconnais là le caractère insolite d’une telle démarche, qui peut être déstabilisante pour le superviseur et le système thérapeutique dans son intégralité.
Une thérapeute prise dans l’impasse derrière la glace sans tain
Je suis assise derrière la glace sans tain. Je me demande comment je vais pouvoir aider Thierry pris dans ce sentiment d’impuissance. Thierry me hèle à travers la glace. Il me demande de venir le superviser devant le couple. Je suis d’accord. Je sens qu’il se passe quelque chose de différent et j’arrive dans la salle de consultation sans trop savoir comment je vais faire.
Cet article est né suite à cette expérience de co-thérapie où un thérapeute supervise l’autre devant le couple dans une situation d’impasse thérapeutique. Dans un premier temps, il nous paraît nécessaire d’expliquer ce qu’on entend par « supervision systémique » et par « impasse thérapeutique ». Nous définirons également ce que nous entendons par « co-thérapie ». Dans une deuxième partie, nous présenterons la situation clinique du point de vue du thérapeute en salle et du point de vue du thérapeute derrière la glace sans tain. Ceci nous amènera au coeur de notre propos : « la supervision en immersion », en nous appuyant sur plusieurs concepts systémiques. Nous terminerons cet article en pointant les ressources et les limites de cette modalité d’intervention.
Les addictions une porte ouverte… ou bleue
Auteurs :
- Fabrice Epaud
Extrait libre d’accès
Ce titre doit beaucoup à une expérience qui nous semble être commune aux professionnels intervenant dans le champ des addictions et aux spectateurs venus applaudir Pierre Desproges au théâtre Grévin en 1986 et qui ont entendu ceci :
Il arrive que l’homme prenne la porte dans la gueule. Il n’y a pas là la moindre trace de haine de la part de la porte. Non, simplement l’homme prend la porte dans la gueule parce qu’il faut bien qu’une porte soit ouverte… ou bleue.
Dans ce court extrait, l’humoriste entraîne le spectateur dans une direction qui lui permet d’anticiper logiquement la suite, puis subitement il change de niveau de réalité en passant de la classe des positions de la porte à celle de la couleur de la porte. En faisant cela, il crée un malaise, puis l’analyse du contexte (théâtre, humoriste sur scène…) permet au spectateur de retrouver son équilibre : « C’est une blague, je ris… ». En fait, dès le début, les spectateurs savent très bien que différents niveaux de réalité peuvent co-exister. Ils savent parfaitement qu’une porte peut être ouverte ou bleue ou encore coulissante. Mais l’humoriste amène les spectateurs à réduire le champ des possibles par un discours linéaire qui débouche avec force sur une proposition d’exclusion du type : « c’est ça ou ça ». Du coup la majorité du public commence à compléter la proposition d’exclusion : « il faut bien qu’une porte soit ouverte ou… » par « fermée » ce qui est logique si l’on réduit la réalité à un seul niveau.
Le même type de phénomène peut se produire dans la rencontre entre professionnels et familles aux prises avec les addictions. De la même manière, les intervenants peuvent oublier que plusieurs niveaux de réalité co-existent. Sur invitation de la famille, leur appréhension des réalités se réduit alors, jusqu’à « c’est ça ou ça ». Ce phénomène doit inciter l’intervenant à une grande prudence parce qu’en fait, ces familles nous ont appris quelque chose d’essentiel : dès qu’il s’agit d’addictions, les choses ne sont jamais ce qu’elles ont l’air d’être à première vue. Il pourrait s’agir, bien plus, d’un trait caractéristique des relations humaines que des addictions. Mais il est vrai que les addictions sont porteuses en elles-mêmes de caractéristiques qui favorisent cet effet d’optique.
Dans une première partie, nous explorerons les différents niveaux relationnels co-existants dans une même famille ou comment une porte peut en cacher une autre. Dans la seconde partie, nous étudierons comment les addictions peuvent faire lien entre les différents niveaux. Dans la troisième partie, nous verrons comment le thérapeute peut mettre en place un « échangeur » qui aidera la famille à appréhender les différents niveaux de réalité. Enfin nous terminerons par la description de quelques « échangeurs » mis en place par notre équipe de thérapie familiale.
Le cercle médian : Le cercle des possibles
L’expérience de l’engagement comme vecteur de changement
Auteurs :
- Béatrice Boussard
- Damien Légère
Extrait libre d’accès
Introduction
Avec l’expérience nous pensons qu’une thérapie familiale ou conjugale s’inaugure au sens latin du terme. En effet, pour le citoyen romain, le temps est vécu de façon dramatique et l’angoisse des commencements est une des maladies de sa culture. Puisque tout est joué dès le début d’une entreprise, il convient de prendre le plus de garanties possibles avant de commencer. C’est pourquoi beaucoup de pratiques religieuses romaines sont consacrées à la recherche et au traitement des présages.
A la différence des Grecs, Rome n’utilise ni les devins, ni les prophètes, ni les oracles. Les présages sont donnés à Rome par des signes naturels. Les romains consultent les dieux au moyen des auspices, c’est-à-dire de l’observation des signes du ciel (tonnerre, éclairs, oiseaux)4. Le ciel est l’espace de Jupiter et c’est lui que le magistrat interroge. Il ne s’agit pas d’obtenir une prédiction, ni de demander le succès, mais de s’assurer que tout est en ordre du côté des dieux.
On inaugure un lieu, une assemblée, un homme. Inaugurer, c’est donc demander à Jupiter : « est-ce bien le bon endroit, le bon moment ? » ou « suis-je bien l’homme qu’il faut ? ». Le rituel est strictement codifié, le collège de prêtres et de magistrats définissent à l’avance quels signes ils attendent de voir dans le ciel et dans quelle partie du ciel.
Inaugurer une thérapie familiale ou conjugale consiste à évaluer si c’est effectivement le bon endroit, le bon moment et le bon système. Cet article vient raconter ce temps inaugural qu’est le premier entretien où nous allons interroger certains signes à certains endroits. Par expérience il s’avère que ce temps inaugural est aussi et surtout un temps thérapeutique.
Sophie prend contact avec notre consultation. En effet avec Ollivier, ils connaissent un tel manque de communication qu’ils sont au bord de la rupture. Sophie a trente-cinq ans, elle est enseignante. Ollivier a trente-huit ans, il est commercial. Ils ont un petit garçon de cinq ans. Ils se sont rencontrés au club de voile que dirigeait Ollivier en tant que bénévole au sein d’une association. Les difficultés de communication ont toujours existé mais un tiers venait réguler les tensions :
- le club de voile dans lequel Ollivier se montre sous un tout autre jour,
- la formation de Sophie, qui l’a amenée à se loger à Paris alors que le couple habitait à Rennes,
- la naissance de leur petit garçon,
- leur déménagement sur Nantes.
La demande de Sophie était qu’on puisse aider Ollivier à communiquer autrement. La demande d’Ollivier était que l’on convainc Sophie de rester en l’aidant à l’accepter comme il est : « Je ne comprends pas que Sophie n’arrive plus à faire avec mon silence et ma timidité. Jusqu’ici j’avais l’illusion qu’elle m’acceptait comme j’étais. »
A l’ordinaire, chaque partenaire d’un couple se présente avec la demande suivante : « moi je n’ai pas de problème mais c’est l’autre… si vous pouviez le changer ! » Nous pourrions faire coïncider leur définition du problème à leur solution. Ainsi nous aiderions Ollivier à se faire entendre et Sophie à comprendre Ollivier.
Nous avons constaté que, bien souvent, l’erreur consiste à saisir trop rapidement l’expression d’un besoin d’espace tiers pour communiquer et s’entendre. Or ce n’est pas le contexte thérapeutique qui peut être un espace tiers pour le couple. L’espace thérapeutique doit faire advenir ou du moins consolider l’espace médian du couple. Nous ne sommes pas thérapeutes individuels en couple mais thérapeute de la relation conjugale. Il y a donc nécessité de les accompagner à changer le niveau logique du problème : de problèmes individuels en couple nous passons à la problématique de couple. Selon Mony ELKAÏM, « le patient n’est ni le mari, ni la femme… le patient, c’est la relation »5.
4 – REY A., 2009, Dictionnaire historique de la langue française, Ed. LeRobert, Paris. Le mot « auspice » vient de avis « oiseau » et de spicere « examiner ».
5 – DELAGE M., CYRULNIK B., 2010, Famille et résilience, Ed. Odile Jacob, Paris, p. 162.
De la mise en scène à l’invité
L’art de la thérapie systémique
Auteurs :
- Catherine Gadby-Massart
- Thierry Leblond
- Marie Masson
- Gérard Chabert
- Christelle Lesourd
- Marie Sabot
Extrait libre d’accès
Introduction
La thérapie systémique est une thérapie à visée de changements. Il ne s’agit pas de changements éducatifs conscients mais de changements profonds, irréversibles et inconscients.
Un changement n’est rien d’autre qu’un nouvel apprentissage. Dans son livre « Vers une écologie de l’esprit », Grégory BATESON* mène une réflexion sur les niveaux d’apprentissage, et il en repère 4 types :
- L’apprentissage zéro : il n’est pas susceptible de correction et n’est pas transposable. Si dans mon quartier une sirène sonne à midi, j’apprends lorsque cette sonnerie retentit qu’il est midi, mais ce n’est pas valable dans un autre contexte.
- L’apprentissage 1 : il s’agit de l’apprentissage de type pavlovien : C’est le processus stimulus/réponse : lorsque le chien entend le bruit des croquettes dans l’assiette, il salive. C’est ce type d’apprentissage qui est en jeu dans les ancrages dont parle la Programmation Neuro-Linguistique.
- L’apprentissage 2 : il s’agit d’un apprentissage transposable à un autre contexte. C’est l’apprentissage éducatif.
- L’apprentissage 3 : c’est un changement dans le processus de l’apprentissage 2 : changer comment on a appris à apprendre. C’est un changement thérapeutique.
- L’apprentissage 4 : il correspondrait à un changement dans l’apprentissage 3 : « Comment on a appris à apprendre à apprendre » mais il est improbable que l’on puisse l’enregistrer dans un organisme vivant actuellement.
La thérapie vise l’apprentissage 3 qui ne peut pas se produire à un niveau de compréhension intellectuelle, mais dans un processus relationnel, avec le ou les intervenants et les autres membres du système.
Les personnes consultant, en souffrance, souvent avec une très faible estime de soi, parfois maltraitées ou se maltraitant, ont besoin d’un climat de confiance pour accepter cette expérimentation.
Le thérapeute doit donc mettre en place un cadre suffisamment sécurisant pour les inviter à entrer dans des jeux relationnels différents sur la scène thérapeutique.
Scène ? Vous avez dit Scène ? Aurait-il donc, entre autres, une fonction de metteur en scène ?
Dans ce cas :
- C’est quoi être metteur en scène ?
- Pour quels scénarii ?
- Pour quels acteurs ?
- Pour quel public ?
C’est à partir de ces questions que nous, les thérapeutes systémiques du groupe de recherche de TSF, avons mené notre réflexion.
Nous vous invitons à cheminer avec nous.
Sur cette scène thérapeutique, il y a toujours un système consultant (famille, couple, individu), et un système intervenant (thérapeute, co-thérapeutes, équipe thérapeutique). Nous avons choisi de réfléchir dans le cadre de thérapie de famille avec un seul thérapeute, mais cette réflexion est valable quelle que soit la configuration.
ADOLESCENCE : CRISE FAMILIALE DE LA FAMILLE AYANT ADOPTÉ
Auteurs :
- Béatrice Boussard
- Damien Légère
Extrait libre d’accès
Introduction et hypothèse
Souvent on a une lecture des comportements des adolescents adoptés comme la remise en cause de la greffe relationnelle entre l’enfant et ses parents par l’adolescent. Ainsi on peut entendre que le jeune adopté au cours de son adolescence remet en question l’adoption.
BOSZORMENYI – NAGY (I.) est venu développer cette compréhension. En effet, l’enfant adopté est pris dans une double dette : celle dite existentielle qui lie tout enfant à ses parents car il leur doit la vie. A ce titre, nous parlons de « parents de naissance », en distinction de « parents biologiques », pour valoriser cette dimension.
L’autre dette lie l’enfant adopté à ses parents adoptifs dans la mesure où il leur doit l’amour, les conditions de son développement. L’approche clinique de ces situations vise à accompagner l’ensemble de la famille pour permettre à l’enfant adopté de pouvoir « s’acquitter » de ces dettes c’est-à-dire de cumuler des mérites pour se construire dans un processus de légitimité constructive. Les parents adoptifs doivent donc autoriser leur enfant à se tourner vers ses parents de naissance sans qu’il y ait rivalité entre les couples parentaux. Une façon d’équilibrer la balance relationnelle entre les deux couples consiste à reconnaître la dette de façon la plus réciproque possible.
Notre expérience clinique auprès des familles ayant adopté vient complexifier cette lecture. Il nous apparaît que l’adolescent vient traiter à son insu des histoires inachevées appartenant à sa famille d’adoption. L’enfant adopté occupe la place vacante de l’enfant biologique. A cet endroit, l’adolescent vient remplir un second mandat interactionnel qui s’impose à lui, ce qui nous permet de développer l’idée d’une « surloyauté » et ce, sur plusieurs niveaux :
- L’accueil d’un enfant adopté permet d’enfouir tous les non-dits à propos de la stérilité du couple. En effet la plupart du temps la grossesse n’est pas considérée comme un symptôme. En revanche l’adoption suggère souvent un problème. Nous remarquons que derrière l’argument du respect de l’intimité, se logent des non-dits silencieusement actifs concernant la stérilité du couple : qui porte la « faute » ? « C’est à cause de qui ? ». Les définitions relationnelles protègent de la culpabilité. Chacun s’enferme dans un roman qui ne se partage pas. La place vacante de l’enfant biologique vient convoquer l’adolescent sur des questions qui ne lui appartiennent pas mais auxquelles il ne peut échapper sans l’aide de sa famille. La famille doit alors différencier les places pour permettre à l’adolescent d’occuper sa véritable place dégagée de l’enjeu de la stérilité du couple.
- Les parents ont connu la suspension du processus de transmission, ce qui constitue une injustice distributive. L’arrivée de l’enfant adopté vient relancer la circulation de la dette existentielle car comme dans toute famille la transmission d’une dette existentielle à son enfant permet d’équilibrer la dette du parent au regard de la génération précédente. Malgré ce mouvement l’injustice distributive demeure et peut même se transmettre sous forme d’injustice rétributive pour l’enfant. L’adolescent adopté porte une injustice qui n’est pas effaçable au-delà du fait qu’elle ne lui appartient pas.
- L’adolescent prend place au sein de l’histoire transgénérationnelle inachevée, que la spécificité de l’adoption vient activer.
1 – Etre légitime, c’est se donner le droit d’exister dans la relation à l’autre. C’est la légitimité constructive.
2 – L’injustice distributive est liée au destin : handicap congénitale, hérédité, circonstances sociales défavorables…
3 – Injustice rétributive : quelqu’un fait endosser une dette à une victime innocente qui est aussi acteur dans le scénario proposé.